La Division norvégienne
À seulement 22 ans, Sofie Graesholt Sjødal, membre de la Team Funbridge s’impose déjà comme l’une des figures montantes du bridge norvégien. Dans cet article, elle nous partage son parcours lors du tournoi de Division norvégienne, ses défis, ses réussites, et les décisions stratégiques qui font toute la différence dans les moments clés.
La Division norvégienne est divisée en quatre groupes, avec un nombre croissant d’équipes à mesure que l’on descend dans les divisions. Il y a un groupe de 1ère Division composé de douze équipes et trois groupes de 2ème Division également composés de douze équipes. Les deux divisions jouent avec les mêmes cartes au même moment, ce qui permet de comparer les résultats. Le tournoi se déroule sur deux week-ends : le premier a eu lieu du 15 au 17 novembre, le second se tiendra début février.
La personne avec qui je devais jouer a été invitée à participer à la Champions’ Cup donc j’ai eu un nouveau partenaire environ deux mois avant l’événement. Et en raison des World Bridge Games, nous n’avons pas eu beaucoup de temps pour nous entraîner. Heureusement, il s’agissait du père de l’un de mes partenaires en Junior. Partageant le même partenaire, nous avions déjà une base sur laquelle travailler.
Un début inattendu qui fait la différence
Le premier match s’est déroulé le vendredi soir et nous avons commencé le tournoi assis dans la mauvaise direction. Cela s’est avéré être une excellente chose pour nous. (Notez que je ne le recommanderais pas, même si cela nous a valu un bon score.) Comme j’étais auparavant arbitre pour cet événement avant de me qualifier pour y jouer, je connais très bien tout le personnel, et croyez-moi, ils ne m’ont pas laissé oublier ça. Mais pourquoi cela a-t-il été une si bonne idée pour nous de nous asseoir dans la mauvaise direction ? Eh bien, un arbitre de tournoi vigilant l’a remarqué rapidement, ce qui a permis à nos coéquipiers de faire de même sur la donne afin que nous puissions comparer les résultats. Et mon partenaire a pris une excellente décision sur cette donne :
*2♥️ = 8-11, 6♥️
Ouest a entamé d’un Trèfle pour la Dame d’Est et l’As du déclarant qui a ensuite joué un Carreau pour le 10 et le Valet d’Est, suivi d’un autre Trèfle. Mon partenaire avait maintenant neuf levées de tête, dont une à Pique, deux à Cœur, quatre à Carreau et deux à Trèfle. Pile le nombre requis pour réaliser le contrat. A l’autre table, nos coéquipiers ont ouvert de 3♥️ et Sud a décidé de sauter à 5♦️. C’était un contrat impossible à gagner, et 14 points pour les bonnes personnes. Un début parfait !
Que faire lorsque l’on constate que l’on s’est trompé de contrat ? Sur cette donne, 4♥️ semble être un très bon contrat, mais vous vous retrouvez au contrat de 3SA. Vous concentrez-vous sur la façon de jouer 4♥️ et comment cela serait bien mieux ? Ou parvenez-vous à rester concentré sur votre tâche et sur la façon de jouer le contrat dans lequel vous vous trouvez vraiment ?
Surmonter les obstacles : jouer 3SA malgré une mauvaise donne
Surcontre = une couleur longue
Votre partenaire craignait que vous n’ayez de longs Carreaux et aucun fit dans l’une ou l’autre majeure, et a décidé de vous laisser jouer 3SA, c’est donc maintenant à votre tour de faire le contrat. Vous recevez l’entame de la Dame de Trèfle pour l’As et un autre Trèfle. Tout d’abord, comptons les levées. Nous pouvons voir que même si les Carreaux sont bien répartis, nous n’avons que 8 levées, donc si les adversaires prennent la main pour encaisser leurs levées à Trèfle, nous chuterons. Mais si nous comptons les points des adversaires, nous savons de l’entame que Nord a DV de Trèfle, ce qui fait 3 points, et il ne nous en manque que 18 au total. Et puisque 1SA montrait 15-17 points, Sud a probablement le reste des points. Soyons donc positifs et supposons que les Trèfles sont répartis 6-2, de sorte qu’ils ne pourront pas les encaisser.
Vous commencez par encaisser AR de Carreau, en espérant que la Dame tombera, mais pas de chance ici. Il semble alors que nous aurons deux perdantes à Pique, une à Cœur, une à Carreau et une à Trèfle, ce qui fait cinq et une de trop. Notre meilleure chance de faire le contrat semble être un jeu de mise en main. Vous jouez un autre Carreau que Sud laisse passer, et vous voyez que les Carreaux sont répartis 5-2, ce qui signifie que Sud aura une carte de sortie sûre à Carreau lorsqu’il prendra la main. La bonne nouvelle est qu’il n’aurait probablement pas laissé passer s’il avait eu un autre Trèfle parce qu’il aurait probablement eu envie de battre le contrat tout de suite. Vous jouez un autre Carreau pour la Dame et, sans surprise, Sud rejoue le dernier Carreau, il n’est pas intéressé de résoudre nos couleurs pour nous. Vous décidez alors d’encaisser votre Dame de Cœur avant de faire votre dernier Carreau afin de vous assurer de ne pas vous squeezer vous-même au mort. Sud ne peut pas prendre la Dame car cela nous donnerait une communication vers le mort et nous pourrions encaisser nos levées à Cœur, donc il laisse passer.
Il vous reste :
Vous encaissez alors votre As de Cœur pour voir la distribution des Cœurs, et vous voyez qu’ils sont répartis 3-2 et que Sud n’a plus que le Roi. Vous encaissez donc votre dernier Carreau et défaussez un Cœur au mort. Si Sud défausse son Roi de Cœur, vous faites votre neuvième levée à Cœur et s’il défausse un Pique, vous jouez le dernier Cœur et il doit jouer un Pique entre l’As et la Dame. Voici la donne complète :
Mais vous le saviez déjà, n’est-ce pas ? Puisque nous avons pu placer tous les honneurs tout de suite et que nous avons rapidement compris que les Trèfles devaient être répartis 6-2, les Carreaux 2-5 et les Cœurs 2-3. Le bridge est beaucoup plus facile lorsque nous disposons de beaucoup d’informations grâce aux enchères et à la défense.
L’instinct à la table : quand la réflexion l’emporte sur la norme
Après un bon premier match, nous sommes allés nous coucher en tête du classement, ce qui n’était pas un mauvais départ. Malheureusement, les choses ne se sont pas aussi bien passées le deuxième jour, et nous avons eu une journée très difficile où peu de choses ont fonctionné. Mais il y a eu une belle donne sur laquelle mon ressenti à la table a influencé mes décisions, et cela a fonctionné. Nous jouions avec des écrans, je ne pouvais donc voir que Nord lors de ce match. Tous vulnérables, voici ma main :
Mon partenaire a ouvert d’1♠️ et Nord a réfléchi un peu avant de passer, pas très longtemps, mais il semblait qu’elle voulait vraiment enchérir quelque chose. Je ne savais pas encore quoi. Nous jouons 2/1 forcing de manche donc je n’étais pas assez forte pour 2♥️ et j’ai dit 1SA. Mon partenaire a fait une enchère naturelle de 2♣️ et j’ai dit 2SA, qu’il a soutenu à 3SA. Voici la main du mort :
J’ai reçu l’entame d’un petit Cœur pour le Valet qui a fait la levée, Nord jouant le 9. J’ai compté mes levées et me suis aperçue que si les Piques étaient bien répartis, je n’aurais pas de problème. J’ai donc essayé de trouver une solution pour le cas où les Piques ne seraient pas bien répartis et j’espérais trouver une répartition favorable à Cœur avec 109 en Nord. J’ai joué un autre Cœur et lorsque Nord a défaussé, j’ai fait mon As et joué la Dame de Pique, prise de l’As par Sud. Il ne voulait pas encaisser son Roi de Cœur car cela bonifierait ma Dame, et comme sa partenaire avait refusé Carreau, il a essayé un Trèfle, que j’ai laissé passer pour le 10 de Nord. Elle a joué le Roi, son partenaire défaussant un Cœur, je savais donc qu’elle avait RDV104 à Trèfle.
J’ai laissé passer un autre Trèfle pour pouvoir en savoir plus sur la main de Sud à partir de ce qu’il allait défausser. Elle a joué un autre gros Trèfle et il a défaussé un autre Cœur. Si je pouvais deviner les Piques, j’aurais suffisamment de levées. Mais, je ne pouvais pas me permettre de donner une levée à Pique car Nord aurait un Trèfle à encaisser et Sud un Cœur. Et avec un Pique, cela ferait cinq levées.
A ce moment-là, je me suis souvenue que Nord avait un peu réfléchi à l’ouverture d’1P. Elle n’avait ni l’As de Pique ni le Roi de Cœur, et aurait donc 7 points au maximum. Comme elle n’avait que cinq Trèfles, je ne pensais pas qu’elle envisageait 3♣️ en position vulnérable, et 2♣️ serait beaucoup trop agressif, même avec une bonne couleur. J’ai donc pensé qu’elle devait être 5-5 dans les mineures et qu’elle envisageait 2SA pour montrer les deux mineures, mais j’ai décidé qu’elle n’était pas assez forte ou que ses Carreaux n’étaient pas assez bons. Cependant, la pause n’avait pas été si longue que ça, elle pouvait donc avoir été simplement distraite, et cela semble stupide si elle avait 10x ou 10xx à Pique tout ce temps. J’avais envie de faire l’impasse contre le 10, ce qui n’est pas le jeu normal. Dois-je jouer normalement ou faire confiance à mon instinct ? Nous faisions déjà un mauvais match, alors je me suis dit qu’une mauvaise donne de plus ne coûterait pas trop cher, mais qu’un bon score pourrait nous aider à gagner plus de PV que nous n’en perdrions sur une mauvaise donne. J’ai donc décidé de suivre mon instinct et de faire l’impasse à Pique. Cependant, j’avais un petit problème car je n’avais plus beaucoup de communications. Cela signifiait que je devais jouer la Dame de Carreau et la surprendre de mon Roi pour jouer un Pique vers RV96 et quand Sud a joué petit, j’ai joué le 9 qui a fait la levée – contrat réalisé -, donnant la dernière levée à Trèfle.
Si j’avais commencé tout de suite avec un Pique et que j’avais reçu la contre-attaque à Trèfle ici aussi, j’aurais pu laisser passer deux fois et avoir le compte complet de la main, ce qui aurait rendu la donne plus facile et m’aurait aussi donné dix levées. Heureusement, nous jouions en IMP donc les surlevées n’avaient pas beaucoup d’importance et j’ai réalisé le contrat. À l’autre table, ils ont joué les Piques en tête, une de chute et 12 IMP pour nous. Malheureusement, ce fut l’une de nos rares bonnes donnes ce jour-là.
Un week-end de défis : quand le changement de partenaire sauve la donne
A mi-journée le samedi, un de nos coéquipiers est tombé malade et a dû rentrer chez lui. Le dimanche matin, il était clair qu’il ne pourrait pas revenir, nous avons donc dû continuer sans lui. Après la première moitié du match du matin, rien ne fonctionnait pour notre équipe et nous devions faire quelque chose. Nous nous sentions très mal pour le partenaire du joueur malade qui avait fait un long voyage pour jouer peu de donnes, et comme rien ne fonctionnait, il était temps d’agir, j’ai donc changé de partenaire. Cela peut paraître risqué, nous avons eu environ cinq minutes pour nous mettre d’accord sur un système et nous avons décidé de jouer le standard norvégien pour lui faciliter la tâche. Cela a très bien fonctionné et après un premier segment horrible, nous avons fait un segment incroyable.
Nous avons terminé le week-end à la moitié d’un segment du sixième match, que nous terminerons en février. Après un bon départ, cela n’a pas été un bon week-end et nous devons nous améliorer lors du deuxième week-end pour nous assurer de ne pas être relégués. Heureusement, notre groupe est assez soudé et nous n’en sommes qu’à la moitié, il n’y a donc aucune raison de baisser les bras.
Article très intéressant et agréable à lire