Enseigner : un vrai boulot !
Initier ses amis ou sa famille au bridge, c’est la meilleure façon de trouver de nouveaux partenaires. Il faut de la patience, de la pédagogie, de la méthode. Bref, c’est un vrai boulot. Comment font les enseignants pour transmettre technique et passion ? Nous leur avons posé la question et ils nous ont donné une vraie leçon de vie.
Transmettre sa passion
«Le bridge est une matière plutôt difficile à transmettre car il faut une grande capacité de synthèse.»
Pierre Dufrêne.
Il est 18 heures, Catherine Groprete-Govignon allume sa webcam. Ses trois jeunes élèves se connectent à leur tour. Le petit groupe est ravi de se retrouver pour ce cours hebdomadaire du bridge-club des Templiers de Coulommiers. Même si des écrans les séparent, l’ambiance est bonne, détendue. Après quelques échanges chaleureux, Catherine questionne ses élèves, sans les bousculer. Dans le civil, Catherine est professeur d’allemand. La pédagogie, c’est son truc. Elle est adepte de la “méthode escargot” qui consiste à engranger les connaissances petit à petit. «On commence chaque séance en faisant un point sur ce qui a été vu la dernière fois, précise-t-elle, ainsi on consolide les acquis, et puis on intègre une nouvelle notion que l’on reverra à la séance d’après, et ainsi de suite.»
Un peu plus au sud, dans le Haut-Poitou, Marianne Souchon, monitrice depuis trois ans, donne aussi des cours via Skype. Transmettre sa passion pour ce “jeu magique” est un véritable plaisir pour cette quinquagénaire : «J’aime donner les outils aux débutants pour qu’ils prennent à leur tour plaisir à jouer. Je suis donc là pour les mettre en confiance, leur donner des bases pour évoluer et, en fait, les rendre autonomes face aux diverses situations qu’ils vont rencontrer.»
Trois chiffres clés
2 400
Moniteurs.
300
Maîtres-assistants.
50
Professeurs en France recensés par la FFB.
Bien doser l’effort
Qu’ils soient bénévoles ou professionnels, les enseignants ont en commun cette envie de partage. Et tous s’accordent sur le fait qu’il faut faire attention à ne pas en dire trop d’un coup, au risque de décourager les élèves. Le maître-assistant Pierre Dufrêne le confirme, enseigner le bridge peut s’avérer ardu :
«Le bridge ce n’est pas la belote, c’est comme le violon ou le tennis, il faut apprendre et s’exercer, faire des services pendant des heures… C’est une discipline autant qu’un jeu et on peut progresser toute sa vie. Mais on ne peut pas le présenter comme tel à des débutants, sinon on les ferait fuir.»
L’enseignant le reconnaît : «Le bridge est une matière plutôt difficile à transmettre car il faut une grande capacité de synthèse.» Avec l’expérience, Pierre a développé ses petites techniques, «des astuces pour faire voir la lumière aux élèves». Pas plus de cinq minutes de leçon théorique par cours, des notions abordées avec des diaporamas pour attirer l’attention des élèves, des mises en situation concrètes et surtout du jeu ! «Souvent, on découvre les problèmes à la table, au fur et à mesure. Finalement, mon topo théorique est dilué au cours du jeu et il est ainsi mieux intégré», décrit cet enseignant consciencieux.
Pierre Dufrêne a découvert le bridge dans sa jeunesse. C’est lorsque ses enfants ont eu l’âge de tenir des cartes qu’il s’y est intéressé plus sérieusement, en «potassant de nombreux bouquins» qu’il synthétisait ensuite.
Rapidement, les jeunes joueurs ont progressé. Son fils Mélic se distingue aujourd’hui dans les compétitions. Il se souvient bien des leçons de son père : «Il nous encourageait à jouer, ma sœur et moi, mais sans jamais nous forcer. Régulièrement, il écrivait des séquences sur un tableau ou alors il nous exposait une situation et on listait ensemble les enchères possibles.» Mélic en est convaincu : «Si on apprend en jouant, en s’amusant, on ne se rend même pas compte que l’on apprend.» À vingt ans, à son tour il a donné des cours. Toujours en essayant de garder cette logique : ne pas surcharger l’esprit des élèves ! «Il faut savoir expliquer les choses quand les élèves sont attentifs. S’ils ne sont plus concentrés, cela ne sert à rien», explique-t-il. Patience, écoute et répétition sont les mots d’ordre de Mélic face aux élèves.
Esprit de compétition
Pour accrocher les débutants, il faut qu’ils puissent rapidement manipuler les cartes. Pour cela, il existe le mini-bridge, un bridge où le système d’enchères est simplifié à l’extrême et permet donc de travailler rapidement le jeu de la carte. Marianne Souchon l’utilise dans ses cours. Elle retrace ses premières séances : «Au début, mes élèves jouent à Sans-Atout pour se familiariser avec les cartes. Ils apprennent à les ranger et à fournir à la couleur. À partir de la seconde séance, ils comptent leurs points, jouent avec le mort et commencent des enchères orales pour trouver le contrat à partir de la table de décision.» Au fil des séances, Marianne ajoute des notions. «Pour quatre heures de cours, je prends autant de temps de préparation», souligne la monitrice qui anticipe les donnes qu’elle commentera avec ses élèves.
Quelques mois après leurs premières séances, ses élèves, de jeunes retraités, ont joué sur RealBridge leur premier tournoi interne au club. Une fierté pour elle, et une façon de garder la motivation pour ses élèves. Dans son école de Cherbourg, Pierre Dufrêne aussi avait compris l’importance pour l’apprentissage de se confronter à des situations réelles de jeu dans un climat bienveillant. Il organisait régulièrement «des pseudo compétitions intergénérationnelles en bridge comparatif. C’est ce qui fait la force du bridge, le duplicate. Mais attention, du duplicate amical !» Il proposait aussi fréquemment des créneaux de parties libres où les élèves pouvaient «se retrouver et passer un bon moment, pour apprendre ensemble sans avoir le moniteur sur le dos».
À chacun sa méthode
En Angleterre, Ned Paul, enseignant professionnel depuis plus de vingt ans, organise des stages où les élèves arrivent sans rien connaître du bridge. Lors de ces “supervised play’s group”, c’est le jeu en duplicate avec des joueurs plus expérimentés qui les fait progresser. Il s’en explique : «Les mécanismes et les règles du bridge sont finalement faciles, c’est le système qui prend le plus de temps à assimiler, et c’est mieux de l’apprendre en jouant. À la table, vous rencontrez des difficultés, vous résolvez des problèmes par vous-même et ainsi vous vous en souvenez.»
Une philosophie que partage le champion français Michel Bessis, professeur professionnel de bridge depuis plus de trente ans et fondateur du site Bridge Academy qui regorge de ressources pédagogiques. Pour lui, «Enseigner le bridge, ce n’est pas faire à la place de l’élève. Il ne faut pas non plus tout expliquer, mais expliquer ce que les élèves doivent savoir.» Un peu de théorie, un peu de pratique : tout est question de dosage. Michel Bessis commence toujours ses cours par une présentation théorique ponctuée d’anecdotes, d’histoires vécues ,un cours «vivant et ludique» qu’il résume en cinq points sur une “fiche mémo”. Après ces explications, il laisse place au jeu. Son rôle est alors d’observer, de commenter. Lorsqu’il donne des cours en ligne, il arbitre les parties que font ses élèves sur BBO : «Comme ça, je peux voir les bêtises qu’ils font, leur expliquer pourquoi ce sont des bêtises, et ainsi ils ne recommenceront pas.»
Apprentissage permanent
Sa première expérience comme enseignant, Michel Bessis l’a vécue en 1984 aux Arcs : «On m’a proposé d’animer un stage. À cette époque, je ne faisais pas grand-chose à part jouer au bridge. Je me suis dit : «Pourquoi pas ?» Je n’avais rien de prêt, je faisais les photocopies la veille, mais j’ai adoré !» Depuis, le prodige du bridge n’a jamais arrêté d’enseigner et a participé à la structuration de son enseignement au niveau national en France.
Sous la présidence de José Damiani, dans les années 1980, la Fédération française de bridge a créé l’Université du bridge visant à former les futurs enseignants. Il existe aujourd’hui trois grades officiels pour l’apprentissage du bridge aux adultes : celui de moniteur, qui est accessible aux joueurs classés au moins en troisième série Pique, celui de maître-assistant, accessible aux joueurs classés au moins en deuxième série Pique et enfin le grade de professeur qui demande d’être ou d’avoir été classé au moins en première série Cœur. Les futurs moniteurs et maîtres-assistants doivent suivre un stage avant de passer les examens.
Marianne Souchon se souvient que c’est pendant cette période qu’elle a découvert de nombreux ouvrages proposés par la fédération qui lui permettent aujourd’hui de construire ses cours «avec une continuité pédagogique cohérente». Il existe ainsi toute une littérature destinée aux enseignants qui peut être utile aux amateurs. Si des programmes sont proposés dans les manuels de la FFB, chaque enseignant est ensuite libre de “fabriquer ses supports”.
«Pour moi, un bon prof prépare lui-même ses cours», reconnaît Michel Bessis qui imagine toujours de nouveaux exercices. Selon lui, chaque groupe, chaque élève est différent et l’enseignant doit savoir s’adapter. «Si quelque chose ne fonctionne pas, il faut savoir se remettre en question, tester autre chose», ajoute Pierre Dufrêne, qui reconnaît être un enseignant «qui doute».
«Enseigner le bridge, ce n’est pas faire à la place de l’élève. Il ne faut pas non plus tout expliquer, mais expliquer ce que les élèves doivent savoir.»
Michel Bessis
Quel que soit leur niveau, les élèves suivent les cours pour apprendre le jeu mais aussi pour l’ambiance. «Il y a des élèves à qui j’enseigne depuis vingt-cinq ans. Ils restent car ils se marrent. Ils me disent qu’ils ont l’impression d’être plus intelligent en suivant mes cours», s’amuse Michel Bessis qui confesse «taquiner ses élèves pour créer un climat amical». Pour lui, «Être prof, c’est 20% de spectacle.» Alors n’oubliez pas de vous amuser… et le reste viendra !
Andrew Robson, le bridge en immersion
Andrew Robson a représenté l’Angleterre pendant plus
de trente ans dans des compétitions internationales. Sa carrière dans
l’enseignement est tout aussi brillante avec plus d’une centaine de stages
à son actif. En 1995, il a fondé le réputé Andrew Robson Bridge Club,
au sud de Londres. Les passionnés peuvent retrouver ses enseignements
dans ses livres, DVD ou vidéos en ligne.
- Comment êtes-vous devenu professeur de bridge ?
J’ai l’impression d’avoir toujours eu cette vocation pour l’enseignement. J’ai fait une formation pour devenir professeur de mathématiques, mais en parallèle je suis devenu bridgeur et finalement « prof » de bridge. J’exerce depuis plus de trente ans maintenant. Je suis largement autodidacte, j’ai appris surtout à partir de livres, comme ceux de Terence Reese. Ils sont fabuleux.
- Avec l’expérience, comment a évolué votre enseignement ?
Je suis devenu un professeur plus direct, qui va droit au but, moins théorique. Je répète de plus en plus les choses, c’est important. Je n’écris plus sur le tableau, je me déplace de table en table, j’observe les joueurs. Il faut que les cours soient “fun”, détendus et concrets.
- Quelles qualités doit-on développer pour devenir un bon enseignant ?
Un professeur de bridge doit être patient. Il doit avoir la capacité de changer son point de vue. Si l’élève ne comprend pas, il faut essayer de saisir sa manière de voir les choses pour pouvoir lui expliquer le mieux possible, s’adapter à lui. Il faut aussi avoir la capacité d’entretenir l’attention du groupe, avoir un peu de prestance, être à l’aise à l’oral. Mais surtout, il ne faut jamais que vos élèves se sentent stupides. Plus on apprend, plus on prend du plaisir. Alors il faut les encourager !
- Comment commencez-vous vos leçons ?
Les élèves mélangent et distribuent les cartes. Puis je désigne un déclarant à chaque table dans un contrat à Sans-Atout. Ensuite, ils jouent une donne aléatoire à l’atout. Changement de partenaire et encore une fois, je désigne un déclarant. Puis on joue une donne pré-distribuée tandis que je parle lentement tout au long des enchères. Ensuite, les élèves jouent des donnes aléatoires.
Les 5 conseils pour initier un débutant
1- Inciter à manipuler les cartes,
à les nommer, à les ranger,
à fournir à la couleur.
2- Commencer par du mini-bridge,
sans enchères.
3- Présenter des donnes de votre
choix et les commenter tous
ensemble.
4- Laisser le temps aux débutants d’aborder les notions
progressivement.
5- Faire participer les débutants à des petits tournois en famille, dans un club de bridge ou en ligne
Qu’avez-vous pensé de ce dossier ?
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Ok
C’est bon B
Très intéressant, Merciiii
intéressant
Il n’est pas facile de jouer avec des données différentes! Merci
C’est passionnant
J’ai commencé à apprendre le bridge à la suite d’un AVC qui a produit de lourdes atteintes cérébrales. Des neurones ont pu se réactiver. Mes pensées sont plus cohérentes et je prends du plaisir à jouer
moi aussi j’ai commencé a apprendre ce jeu apres une hemorragie cerebrale et j’ai utimlise cet apprentissage pour reconstituer ma memoire! Je ne serai jamais championne mais …….c’est toujkours un bonheur pour moi de jouer grace a cette merveilleuse pedagogue qu’est Vanessa REES qui nous enseigne avec une patience d’ange!
Tout cela est bien beau, mais il faut signaler surtout qu’un bon professeur prépare ses cours et doit pouvoir en vivre. De très nombreux professeurs de bridge ne sont que de bons joueurs. Peu de moyens ( supports vidéo, PowerPoint, support écrits) car les revenus retirés d’une séance de 2 heures de bridge sont faibles. Ils me font penser à mes vacataires à l’Universite: bons techniciens, mais c’est tout..Seule une agrégation de bridge , ou un CAPET permettrait d’avoirs de vrais profs., formés et qui vivraient de leur technique.
ok
Je n’arrive plus à me connecter pour jouer.
Très ntéressant et instructif.