Sélections équipe d’Israël Open 2024
Qui a dit que seuls les grands champions pouvaient rédiger des articles de bridge ? Funbridge vous propose depuis quelques mois un nouveau format d’articles où vous, joueurs talentueux, avez la possibilité d’écrire et de partager votre expertise sur les donnes qui vous inspirent le plus. Nous sommes ravis de vous présenter ci-dessous un article passionnant rédigé par l’un des membres de notre communauté.
Zoom sur l’auteur
Yoram Aviram est un joueur de bridge expérimenté et un ancien membre des équipes d’Israël Junior et Open avec quelques succès à son actif sur la scène nationale et internationale.
Yoram a arrêté le bridge il y a de nombreuses années pour se concentrer sur sa famille et son travail (transactions informatisées et instruments financiers), délaissant ce sport de l’esprit pour un sport physique, le cyclisme sur route en compétition.
Il revient désormais à sa vieille passion et a adopté Funbridge comme la plateforme pour rafraîchir ses connaissances. Il vient de réintégrer l’équipe d’Israël Open en vue des Championnats d’Europe 2024 qui se tiendront au Danemark.
Il partage avec plaisir des donnes particulièrement intéressantes avec la communauté Funbridge sur le blog.
Sélections équipe d’Israël Open 2024
Près de 20 ans se sont écoulés depuis que j’ai eu le privilège de faire partie de l’équipe nationale israélienne, représentant mon pays lors de championnats internationaux. Les circonstances de la vie m’ont éloigné du bridge au profit de mon travail, ma famille et d’autres loisirs. Il y a environ 2 ans, le bon vieux virus du bridge m’a rattrapé et j’ai repris le bridge en compétition. Depuis, je ne rêve que de retrouver les sommets et de rejoindre à nouveau les rangs de l’équipe nationale Open.
Cette année, les sélections se sont déroulées sous la forme d’un tournoi par paires en 2 phases. 15 paires se sont affrontées lors de la première, 5 d’entre elles se qualifiant pour la finale. Lors de la finale, ces 5 paires ont été rejointes par 3 paires exemptées de première phase. Les 2 premières paires de la finale se qualifiaient en sélection nationale avec une paire de haut niveau dispensée de sélections.
Nous avons réussi à nous qualifier pour la phase finale relativement facilement. La finale s’est jouée sur un week-end de 4 jours mi-janvier. Le systéme de notation utilisé était en IMP en fonction des résultats du champ par donne, en double round robin avec 14 donnes par match.
Bien qu’étant extrêmement motivés, mon partenaire Gilad et moi-même nous sommes dits que réalistiquement, nos chances d’atteindre l’une des deux premières places contre 7 des meilleures paires de bridge israéliennes, dont la plupart étaient plus jeunes et mieux entraînées que nous, étaient assez faibles. Toutefois, nous avions l’expérience et un excellent esprit d’équipe pour nous.
C’est donc par un mercredi matin radieux que la finale a commencé. Durant les 3 premiers jours, nous étions majoritairement légèrement au-dessus de la moyenne, ce qui nous mettait dans une position de potentiels qualifiés car, comme on pouvait s’y attendre dans un champ aussi fort, il n’y avait pas eu de gros écarts.
A l’entame de l’avant-dernier match, nous étions 5èmes à environ 10 PV de la 2ème place (20 PV à se partager par match). Il nous fallait donc réaliser 2 bons matchs pour avoir une chance de nous qualifier.
La première donne du match ne nous a pas été favorable. Nous n’avons pas contré nos adversaires sur un contrat de 5♣. Deux de chute avec 4♥ à réaliser dans notre ligne.
La deuxième donne a semblé plate, les adversaires chutant sur un contrat normal de 3SA.
Voici la troisième donne :
Ma main en Est
Nous étions vulnérables. Mon adversaire de gauche a ouvert 1♣, mon partenaire est intervenu à 1♠, mon adversaire de droite a enchéri 2♥, j’ai passé et mon adversaire de gauche a alors sauté à 3SA. Après avoir pris un moment de réflexion, mon adversaire de droite, Michael Barel (mon partenaire il y a 20 ans), a sauté à 6♥ !
Tout le monde a passé et ma première décision a été l’entame. J’ai demandé à Michael ce que signifiait l’enchère de 3SA de son partenaire. Il a répondu qu’elle était juste meilleure que 2SA. J’ai supposé que mon adversaire de gauche qui avait ouvert 1♣ avait de bons Trèfles. Mon Roi était bien placé pour le déclarant, une entame agressive s’imposait donc. Devais-je entamer dans la couleur de mon partenaire ou de l’A♦ ? L’entame à Carreau semblait une meilleure option car de par son enchère, le déclarant devait s’attendre à une entame à Pique. Entamer à Carreau pouvait fonctionner si mon partenaire avait soit le R♦, soit un singleton à Carreau. J’ai donc entamé de l’A♦ et le mort a étalé ses cartes :
J’étais sûr que le mort avait moins de jeu que ce à quoi le déclarant s’attendait, nous avions donc peut-être une vraie chance. Le mort a joué un petit Carreau et mon partenaire a joué le Valet, le déclarant fournissant.
Il semble que le dilemme de l’entame était toujours d’actualité. Ces Trèfles au mort pouvaient donner au déclarant ses 12 levées à moins que nous n’en prenions 2 d’abord. La question subsistait donc : mon partenaire pouvait-il avoir l’A♠ ? Pouvait-il avoir le R♦ ou un singleton à Carreau ? A première vue, voir le Valet de mon partenaire était cohérent avec un appel préférentiel fort à Pique mais cela pouvait aussi être avec RV ou, évidemment, un singleton.
Pourquoi Michael a-t-il sauté à 6♥ et n’a pas interrogé sur les As ? J’étais certain que la raison était qu’enchérir 4SA sur 3SA de mon partenaire reviendrait à une invitation « quantitative », il n’avait donc probablement pas d’enchère interrogeant sur les Rois disponibles. Malgré la forte enchère de Michael, mon partenaire est intervenu à 1♠ vulnérable. Lui aussi devait donc avoir du jeu. Soit AR♠, soit A♠ et R♦. Avec une couleur 7ème, il aurait vraisemblablement enchéri 2♠ ou 3♠, le déclarant n’était donc probablement pas chicane à Pique. Essayons de visualiser quelques mains possibles du déclarant pour déterminer ce qui était probable.
Je pense que cette main était possible :
♠ A
♥ A R D 10 x x x
♦ x x x
♣ x x
C’est une main assez forte laissant le partenaire avec juste de quoi intervenir et sans Blackwood disponible, 6♥ est un pari raisonnable. Evidemment, avec cette main, la continuation des Carreaux est essentielle. A moins que nous n’encaissions immédiatement nos 2 levées à Carreau, le déclarant jetterait ses 2 perdantes à Carreau (1 sur un Trèfle après avoir fait l’impasse deux fois et 1 sur un Pique après avoir fait l’expasse marquée). (Note : mon partenaire était forcé de jouer le V♦.)
Voici une autre main possible :
♠ x
♥ A R D 10 x x x x
♦ R x
♣ x x
Question points d’honneur, c’est une main plus faible mais la couleur 8ème compense. Ici, bien sûr, je devrais contre-attaquer à Pique (ce que mon partenaire réclamait fortement en jouant son V♦).
J’étais vraiment perdu. C’était une carte cruciale d’une main cruciale d’un match crucial d’un tournoi crucial. Elle était susceptible de décider si nous allions oui ou non intégrer l’équipe et tout ne semblait reposer que sur une supposition. Cela semblait vraiment bizarrement injuste. J’avais envie de rire, ce que j’ai fait, puis me disant que Michael était plus susceptible de tenter le chelem avec deux As plutôt qu’un, j’ai continué à Carreau…
J’ai immédiatement senti une mauvaise vibration de l’autre côté de la table. Le mort a joué la Dame, mon partenaire a joué le modeste 2 et Michael (expirant de soulagement ou l’ai-je imaginé ?) a pris du Roi.
Oups… J’ai fait une grosse bourde. Le déclarant a tiré un atout et joué un Trèfle. J’avais un léger espoir qu’il ait un singleton à Trèfle et essaie d’expasser son partenaire mais, d’un haussement d’épaules, il a mis la Dame du mort, a continué à faire tomber les atouts, a fait une nouvelle impasse à Trèfle et a défaussé une perdante à Pique sur l’A♣ (il avait en fait la deuxième main décrite plus haut).
Michael a ensuite revendiqué les levées restantes. Anticipant la réaction à venir de mon partenaire, un léger son commençant à se faire entendre de son côté de l’écran, rapidement, avant que la table ne se soulève vers moi, j’ai baissé la tête sous l’écran en disant « désolé partenaire, je pensais que tu avais RV de Carreau »… La table a retrouvé sa position initiale. On pouvait encore entendre quelques marmonnements de mécontentement mais ils se sont progressivement dissipés…
Tout semblait fini. Nos chances d’intégrer l’équipe étaient pratiquement réduites à néant. Le bridge est si injuste ! Les échecs sont un jeu si beau ET JUSTE…
En fin de compte, nous y sommes arrivés. Le reste du match nous a été favorable et nous avons fait un bon dernier match. Nous avons terminé 2èmes et avons gagné notre sésame pour l’équipe Open ! Nos coéquipiers Birman-Padon et Zamir-Toledano sont deux paires jeunes, très sympathiques et fortes. Nous espérons apporter notre contribution. Après 20 ans, je vais de nouveau représenter Israël lors des Championnats d’Europe !
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Magnifique article trépidant
excellent
Passionnant . Quel niveau d’intelligence de ce merveilleux jeu qu’est le bridge .
Excellent article and honest to admit to Making the wrong play on the day
J’ai pris beaucoup de plaisir à lire l’article, bravo pour votre sélection !
Très intéressant et en même temps rassurant de voir que même un très bon joueur ne peut pas toujours trouver la solution il reste une part de chance
Mais bravo pour la sélection
Les échecs parfois sont aussi injustes